Le dernier adieu à Danielle Chouet
1197
post-template-default,single,single-post,postid-1197,single-format-standard,bridge-core-2.6.4,tribe-no-js,page-template-home-lavoixt-www-wp-content-themes-bridge-page-php,qode-page-transition-enabled,ajax_fade,page_not_loaded,,qode-title-hidden,qode_grid_1300,footer_responsive_adv,qode-content-sidebar-responsive,qode-theme-ver-24.9,qode-theme-bridge,qode_header_in_grid,wpb-js-composer js-comp-ver-6.5.0,vc_responsive,elementor-default,elementor-kit-191

Le dernier adieu à Danielle Chouet

Aux côtés de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, nombreux sont ceux qui ce jeudi sont venus rendre un dernier hommage à Danielle. Camarades, amis, proches, ce sont en effet près de deux cents personnes qui ont une dernière fois fait vibrer ce joli prénom dans lequel se « marient cerise et grenade ». Ci-dessous, les magnifiques mots de son camarade Jacques Teyssier :

On voudrait d’autres mots, des mots plus lourds, des mots plus forts, des mots plus durs pour écrire notre peine, pour dire notre tristesse, pour crier notre chagrin. Une amie nous a quittés. Une camarade s’en est allée. Ici, dans ce petit coin de cette France que chantait si bien Ferrat, une terre elle aussi de Résistance, qu’elle avait découverte, qui l’avait plus qu’adoptée et qu’elle s’était doucement mise à aimer, sans jamais oublier un seul instant ses Monts du Lyonnais et sa si chère commune de Vaugneray nous l’appelions Danielle. C’était notre amie, notre camarade. De tous les instants et de tous les combats. En a-t-elle menés, de sa plus tendre enfance jusqu’à ses derniers jours, continuant de suivre cette actualité trop souvent inquiétante à ses yeux, avec certes des luttes, mais toutes ces injustices qu’elle ne pouvait accepter, pauvreté grandissante et milliardaires triomphants, ces guerres qui la consternait et cette “bête immonde” qu’elle n’a cessé de combattre et qui relève si dangereusement la tête ! Née le 18 avril 1925 dans une famille vivant de peu, presqu’en autarcie, avec le puits et les cabinets dans la cour, aussi aimante, qu’ouverte aux autres et plus unie que les doigts de la main, la petite Jeannette Razy découvre très tôt l’action militante, le refus des inégalités et de cette France humiliée, asservie, piétinée, bâillonnée. Élevé à la dure et placé tout jeune comme berger, son père s’engage pleinement dans le Parti Communiste quand les Ligues fascistes agressent la République. Toute sa vie durant et contre vents et marées, y compris en portant, sans aucun succès d’ailleurs, les couleurs du parti lors de chacune des élections, François défendra son idéal, devenu d’ailleurs celui de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Un idéal qui le conduira, tout naturellement, à rejoindre la Résistance, devenant Gustave à la nuit tombée. C’est chez lui que furent tirés sur la petite ronéo, avec l’aide de Jeannette et de sa sœur Odette, nombre de tracts et de journaux clandestins, dont les premiers numéros de Valmy, ancêtre de ce qui allait devenir cet Écho du Centre qui nous manque terriblement. Bien que située dans une zone réquisitionnée par l’effroyable Milice, la ferme du Recret devient refuge pour les maquisards pourchassés et lieu de réunion pour l’état-major régional des FTP. De multiples opérations y seront programmées. La maman assure des liaisons et ravitaille le maquis. Quant à Lily et Paulette, les plus jeunes, elles ont pour consigne de se taire, au point qu’au village, on les appelle “les bouches cousues” ! Louis, le dernier enfant, naîtra en juin 40.

« Elle n’a même pas 18 ans quand elle rejoint la clandestinité »

Jacques Teyssier

Obligée de garder la chambre, à cause d’une scarlatine, Jeannette décroche brillamment son certificat d’étude. Elle se rêve institutrice. Mais l’argent manque. Elle doit travailler comme garde d’enfants. Percevant sa tristesse, sa patronne lui paye des cours de secrétariat, de sténo et de comptabilité. Reçue avec mention très bien, elle est embauchée dans une compagnie d’assurances, ancêtre du Crédit agricole. Elle tape des tracts en cachette. En prenant d’ailleurs de gros risques. Quelques mois plus tard, un responsable des FTP, qui se révèlera être un ami de son père, lui propose de travailler totalement pour le mouvement. Elle accepte tout de suite. Elle n’a pas même 18 printemps quand elle entre dans la clandestinité sous le nom de Maurel, avec Danielle comme prénom. Sa sœur Odette, quant à elle, deviendra Andrée. Dans cette cité des Gaules où la répression se fait farouche sous la férule des sinistres Barbie et Touvier, chaque mission est peut-être la dernière. Crainte de la filature, du guet-apens, de la dénonciation lorsque l’on porte le message, les publications, l’argent, voire les armes. Jeanette sait pertinemment que le petit revolver qui lui a été donné et qui ne la quitte pas ne saurait suffire… De cette période où sa vie n’a souvent tenu qu’à un fil, Danielle n’en parlera guère. À l’égal de son père, qui terminera Président du Comité local de la Libération, mais récusera tous les honneurs et n’engagera aucune démarche pour faire reconnaître ses activités de Résistant. C’est sa seconde fille qui finira par en faire la demande. Il obtiendra sa carte de Combattant volontaire de la Résistance deux ans à peine avant sa mort…

« Ces combats il fallait les mener, ces responsabilités il fallait les prendre »

Danielle Chouet

Pour Danielle, même chose. Ces combats il “fallait” les mener, ces responsabilités, il “fallait” qu’elle les prenne… Comme s’il était naturel de s’engager en ces temps où la résignation était de mise et la collaboration monnaie courante ! “Plus discrète qu’elle, je ne connais pas”, avait souligné avec tendresse Léon Lichtenberg, cet ancien Résistant engagé dans les rangs des FTP-MOI devenu avocat et journaliste, à l’occasion des noces de diamant de Danielle et de René… Dès la Libération, après avoir refusé le grade de lieutenant que veulent lui donner ses camarades, Jeannette s’engage dans les Milices patriotiques ouvrières et paysannes mises en place par le Conseil national de la Résistance pour “défendre l’ordre public, contre la terreur et la provocation”. À leur dissolution en octobre 1944, elle devient permanente de l’Union de la jeunesse républicaine de France, un mouvement initié par les communistes qui comptera plus de 250.000 adhérents. Elle a en charge tout le département et collabore régulièrement à un petit journal progressiste consacré au cinéma. Elle fera également un remplacement au syndicat CGT des PTT et sera finalement embauchée en juin 48 à la Sécurité sociale. Cette éternelle battante se retrouve tout naturellement membre de la délégation des communistes du Rhône pour le Xème congrès, le premier depuis la dissolution du parti. Elle ovationne la Passionaria, entonne le Chant des Partisans, applaudit Jacques Duclos, Waldeck Rochet et Maurice Thorez qui en appelle à l’unité pour “relever l’économie” en “abattant à jamais la puissance des trusts”… C’est en octobre 1947 à Marly-le-Roi qu’elle rencontre René, à l’occasion d’un stage pour les responsables de l’UJRF. Coup de foudre immédiat. Il durera toute la vie avec cet idéal totalement partagé ! René, qui “n’a pas eu la chance, comme disait Jean[1]Jacques Zilbermann, d’avoir des parents communistes”, est très impressionné par le papa de Danielle. Il ose cependant lui demander sa main, comme cela se faisait à l’époque. Mariage tout simple, à Lyon, en 49, avec beaucoup de jeunes militants et un petit bal tout de même, chez un camarade qui tient un bistro. Le premier enfant, André, est mis en route le soir même, suivi très vite par Joëlle et François. L’arrivée en Dordogne n’est pas des plus simple ! Le couple vit chez la maman. Danielle est au chômage et René rarement là. Il milite énormément. Avec de grosses responsabilités, à l’UJRF, à la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants et Patriotes (FNDIRP) et de plus en plus au Parti. Un remplacement va permettre à Danielle d’intégrer le lycée Albert Claveille, on disait alors “la Prof”. Elle y restera 31 ans à l’intendance en créant tout de suite une cellule du parti et un syndicat CGT, tout en militant activement. Un minuscule logement leur permet de souffler un peu. Il leur faudra patienter jusqu’en 1957, Dédé à 7 ans, Jojo 6 et Chouchou 5, pour avoir un appartement digne de ce nom. Une HLM, rue Ludovic Trarieux. Ils y ont passé toute leur vie ! Dans cette cité populaire, une vie de quartier, une solidarité vraie s’organise très vite. Sans attendre Danielle et René vont monter une amicale des locataires, une association de parents d’élèves et bien sûr une cellule du Parti, qui deviendra l’une des plus importantes et des plus dynamique, la cellule Yves Perron…

« Avec Danielle, nous avons énormément milité ; finalement je ne sais pas si ce n’est pas elle qui en a fait le plus ! »

René Chouet

En se remémorant leur vie commune, riche d’amour, de combats et d’espoirs partagés, René aimait à souligner : “Avec Danielle, nous avons énormément milité”, ajoutant : “Finalement, je me demande si ce n’est pas elle qui en a fait le plus !” En a-t-il fallu du caractère, de la volonté, de la détermination et de solides convictions à notre petite Danielle pour conjuguer ainsi, d’aussi bonne et belle façon, trois enfants, une activité professionnelle à temps plein et un engament militant permanent. De son constant investissement syndical dans la CGT, à son activité dans la CNL, la FCPE, le MRAP, le Secours Populaire, le Mouvement de la Paix, la FNDIRP ou encore France-URSS, guère de temps pour se laisser aller ! D’autant qu’il y avait bien sûr cette Union des Femmes Françaises, si active en Dordogne, avec quelques 2.200 adhérentes à la grande période. Membre de son Comité national, Danielle en fut la présidente départementale. Réminiscence notamment des expositions, des manifestations, singulièrement celles autour de la Journée internationale des femmes ou encore de cette formidable campagne menée en direction des professionnels de santé, médecins et sages-femmes en tête, pour les convaincre du bien-fondé de l’accouchement sans douleur. Souvenir aussi des initiatives pour le droit à l’avortement, des actions pour l’égalité femmes-hommes, des rassemblements contre le colonialismes, l’oppression, le racisme et les guerres. Et comment oublier son investissement de chaque minute dans “le Parti des fusillés”. Danielle siégea d’ailleurs au Comité fédéral. Elle aura en charge les questions paysannes et la section du Coux et se retrouvera conseillère municipale de Périgueux, dans les années 1950, un camarade ayant changé de région et Danielle étant la suivante sur la liste. Elle ne fera qu’un mandat, cette responsabilité ne lui plaisait pas vraiment… La descendante des Canuts préférait le concret, pour les questions sociales, pour la défense de l’école publique et de la laïcité, pour l’Appel de Stockholm afin de mettre un terme définitif à l’armement nucléaire et plus encore pour la solidarité. Avec les républicains espagnols, le Viet-Minh de l’Oncle Hô, Ethel et Julius Rosenberg, l’Algérie revendiquant son indépendance, Cuba victime de l’embargo, le Chili d’Allende, de Néruda et de Victor Jara, la Palestine toujours privée d’un état, l’Angola, le Nicaragua ou encore l’Argentine, avec Patrice Lumumba, Julian Grimaud, Angela Davis, Mandela, Leonard Peltier, Mumia Abu-Jamal, Marwan Barghouti et tout dernièrement Salah Hamouri… Solidarité aussi avec ces longues grèves, comme celle des mineurs de Decazeville, qui avait conduit la Lyonnaise et le Périgordin à accueillir deux petites jumelles. Mais Danielle c’est aussi cet indéfectible attachement au journal de Jaurès et à celui qu’elle vendait le dimanche, à cette fête des Bernardoux dans laquelle l’UFF tenait stand, c’est encore cette crainte du plasticage quand l’OAS sévissait avec la chambre de la petite Joëlle jouxtant la porte d’entrée. Et c’est la comptabilité de la fédération départementale du parti qu’elle a bénévolement assuré durant plus de 20 ans, avec son amie Marie-Louise, une fois prise sa retraite. Danielle, c’est aussi une passion pour la lecture. Une passion débordante. Lorsqu’elle est arrivée en Dordogne, elle n’avait presque qu’une malle, remplie non d’habits, mais de livres ! C’est elle d’ailleurs qui poussa René à s’intéresser à l’écrit … Danielle c’était tout cela et mille choses encore. Éternelle gentillesse, dévouement permanent, immense modestie, constant dynamisme, inépuisable générosité et humanisme exemplaire. C’est une grande et humble dame qui vient de nous quitter. Sur cette longue et impitoyable route qui devra bien finir par nous conduire au bonheur et qui ouvrira enfin toute grande la porte aux besoins de chacun, elle n’a cessé de cheminer au côté de René, plus lentement vers la fin, en s’aidant parfois d’une canne. Ils ont affronté bien des obstacles, tout en connaissant de vrais et grands moment de bonheur. Le bonheur d’une vie bien remplie que l’on regarde sans l’ombre d’une gêne, le bonheur d’un idéal librement choisi, “le plus beau jamais proposé aux hommes”, constatait Paul Vaillant Couturier, une idée toujours neuve, le bonheur de tous ces moments, simples et chaleureux, entre amis, en vacances, mais plus encore en famille. Sur le vieux tourne-disque, Ferrat chante : “Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre / Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui”… Mes amis, mes camarades, en mon nom, mais surtout au nom de ce parti auquel tu as adhéré à 19 ans en décembre 1944, “comme on va à la fontaine” avait dit Picasso, et que tu n’as jamais quitté, je tiens à vous remercier pour l’ultime hommage rendu à celle dont la famille a profondément marqué ces Monts du Lyonnais, de l’Yzeron où tu aimais te baigner, à ces cols de la Luère et de Malval qu’il te plaisait de franchir. En ces moments si difficiles, si éprouvants, soyez assurés, chers Dédé, Joëlle et Chouchou, vous les trois enfants, avec Christine, Bruno et Estrella, vos compagnes et compagnon, avec vos enfants René, Camille, Romain et Manon, Aurélien et Julien, leurs compagnes et compagnons, Vanda, Julien, Aurélien, Agathe, Quentin, Elodie, Sarah et Aurélie, sans omettre l’avenir, vous les arrière-petits tant aimés, tant choyés, Lily, Anna, Arthur, Louis, Nina, Simon, Maël, Jules, Léo, Pablo, Nino et Romane, soyez donc assurés que Danielle, que Jeannette laisse une belle, une profonde trace dans ce pays des Croquants qu’elle a épousé en même temps que René. Une trace de lutte et d’espérance en un monde nouveau, débarrassé de toute exploitation et de toute oppression. Adieu Danielle, adieu camarade. Nous poursuivons ton combat !

Article de la Dordogne Libre du 29 novembre 2022
Article Sud-Ouest du 30 novembre 2022

Article de France Bleu Périgord : Disparition de Danielle Chouet, résistante et militante du parti communiste en Dordogne (francebleu.fr)

Archive Canal Pourpre : ENTREVUE : DANIELLE CHOUET, SOUS LES PLIS DU DRAPEAU ROUGE ? – YouTube