« Nous sommes dans une espèce de démocrature », dénonce André Chassaigne, député PCF
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« Nous sommes dans une espèce de démocrature », dénonce André Chassaigne, député PCF

Après le torpillage de l’abrogation de la retraite à 64 ans, le président du groupe GDR, André Chassaigne, s’alarme de la « dérive antidémocratique » du pouvoir. ENTRETIEN.

De mémoire de député, élu depuis plus de vingt ans, c’est inédit. Le communiste André Chassaigne, président du groupe de la Gauche démocratique et républicaine (GDR), n’avait jamais observé de telles manœuvres. Selon lui, la Macronie, depuis qu’elle n’a plus de majorité absolue à l’Assemblée, s’engouffre dans une « dérive antidémocratique extrêmement grave ».

Une étape supplémentaire a été franchie mercredi 31 mai lors de l’examen, en commission des Affaires sociales, de la proposition Liot visant à abroger la retraite à 64 ans. Les parlementaires des groupes macronistes, soutenus par LR, ont tout manipulé pour éviter de perdre, allant même jusqu’à balayer l’ensemble des amendements de la gauche sans fondement juridique solide. Une nouvelle attaque en règle des droits de l’opposition par Emmanuel Macron et ses amis, qui s’apprêtent désormais à détourner la Constitution pour déclarer budgétairement « irrecevable » l’abrogation.

Comment analysez-vous les combines macronistes lors de l’examen de la proposition de loi Liot ?

Cela s’inscrit dans la continuité du précédent épisode de la motion référendaire, où ils avaient déjà détourné le règlement avec une volonté politique de la présidente de l’Assemblée de propulser le RN en première ligne. Cette fois, une présidente de commission décide d’elle-même de ne pas examiner les amendements. C’est anticonstitutionnel. Nous sommes face à un pouvoir de plus en plus autocratique, dans une espèce de démocrature, selon le terme de Pierre Rosanvallon, où la séparation des pouvoirs est écrabouillée et le pouvoir législatif remis en cause, en tordant la Constitution.

Quel précédent cela crée-t-il ?

C’est d’autant plus grave qu’on ouvre ainsi la porte à une jurisprudence qui pourra demain être utilisée par l’extrême droite, si elle arrive au pouvoir, pour museler le Parlement.

Comme pour la Constitution, le fonctionnement de l’Assemblée nationale est régi par une part de jurisprudence. Il y a la lettre et l’usage. Ce qui permettait d’instiller une dose d’expression de l’opposition est en train de disparaître. Tout abus est accepté, car il n’existe pas d’institution capable de contrer cela.

Dans quel contexte cela s’inscrit-il ?

Nous sommes dans une mécanique de broyage de la démocratie parlementaire. Il y a d’abord eu l’utilisation combinée des différents articles les plus régressifs de la Constitution (49.3, 47.1…) pendant l’examen de la réforme des retraites. Ils avaient déjà porté un coup inimaginable au Parlement. Maintenant, ils vont dévoyer l’article 40, dont l’utilisation coutumière est circonscrite aux amendements sur un projet de loi. Et ce, alors que la proposition de loi a déjà été jugée recevable par le bureau de l’Assemblée. Ils font en sorte qu’il n’y ait plus d’initiative parlementaire, car l’immense majorité des propositions de loi nécessitent un financement, et sont donc « gagées » sur le prix du tabac. En termes de hiérarchie des normes, cela ne peut être contesté. Les deux propositions de loi que j’ai fait passer sur les retraites agricoles avaient un coût, et n’ont pas été déclarées irrecevables. Ils utilisent tous les leviers possibles pour que le Parlement ne puisse pas s’exprimer majoritairement sur une disposition législative.

À gauche, des voix s’élèvent pour déposer une nouvelle motion de censure si Yaël Braun-Pivet active l’article 40. Y êtes-vous favorable ?

Ce sera une décision du groupe, mais on ne peut pas rester l’arme au pied. Nous devons utiliser tous les outils possibles pour mettre en cause le pouvoir en place. Parmi ces instruments de riposte, il y a la motion de censure. Mais pas seulement. Cela doit donner lieu à une réflexion collective dans le groupe, dans la Nupes mais aussi en lien avec l’intersyndicale.

Lors de la commission des Affaires sociales, quatre journalistes, dont un reporter de l’Humanité, ont été menacés par un agent de l’Assemblée d’être évacués « par la force » de la salle pourtant ouverte à la presse. De quoi est-ce le signe ?

Ils veulent que les choses se passent en vase clos. Toute médiatisation de leurs actes de force contredit leur stratégie d’atténuation. Nous sommes dans une dérive antidémocratique extrêmement grave.

Certains déclarent que la bataille des retraites est terminée. Que dites-vous aux acteurs du mouvement social ?

On ne lancera pas, seuls, des initiatives, mais dans une démarche unitaire, avec l’intersyndicale. Si nous lançons une pétition citoyenne, cela doit se faire en bonne intelligence. Aux millions de Français opposés à la réforme des retraites, nous disons que la bataille n’est pas finie. La violence de la pratique du pouvoir par la majorité relative en est le révélateur. C’est aussi devenu une lutte démocratique et on ne lâchera rien.

Entretien réalisé par Emilio Meslet pour l’Humanité

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